Si aujourd’hui les fausses nouvelles et les manipulations de l’opinion passent essentiellement par les réseaux sociaux, autrefois c’est sur le champ de bataille des ondes que tout cela se passait. Et tout particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les belligérants vont s’y mettre dont les Nazis. En 1939, le ministre de la propagande du IIIe Reich, Joseph Goebbels créé un service spécialement dédié nommé Büro Concordia.
Lors de la drôle de guerre, cette période qui s’étale de la déclaration de guerre (3 septembre 1939) à l’offensive allemande (10 mai 1940), tout est bon pour déstabiliser l’adversaire. Les émissions de propagande en français diffusées par l’émetteur de Stuttgart ne suffisent pas à Joseph Goebbels.
Deux faux postes clandestins
En décembre 1939, ses services mettent en place deux radios noires, c’est à dire de faux postes clandestins. Ils ont pour nom La Voix de la Paix – Réveil de la France et Radio-Humanité. Le premier est censé représenter une France bourgeoise, patriotique et surtout pacifiste. Il n’aura pas l’impact du second qui se veut la voix du Parti communiste français dont les activités sont interdits depuis septembre 1939, suite au parte germano-soviétique. Son journal, l’Humanité est interdit depuis le 26 août. Une aubaine pour les services de la propagande nazie. Le faux poste clandestin va prendre le nom de Radio-Humanité, ce qui va multiplier son efficacité.
Cette radio noire a fait l’objet d’un livre « Radio Humanité, les émetteurs clandestins allemands » écrit par Ortwin Buchbender et Reinhard Hauschild et publié en 1986 (France Empire). Les auteurs ont retrouvé dans les archives allemandes les textes qui ont été lus sur Radio-Humanité. Ils en reproduisent une sélection.
Ils sont écrits par des rédacteurs allemands dont Ernst Torgler (au mois de juin) un leader communiste récupéré pour l’occasion par les nazis, puis lus à l’antenne par deux francophones à Berlin. Dont Theodor Thony, un Allemand élevé en France, acteur de rôles mineurs pour le cinéma et que l’on retrouvera plus tard sur les ondes de La Voix du Reich, le nom des émissions en français de la radio allemande. Ils sont installés dans une maison de la rue Soor à l’arrière de la maison de la radio. Les émissions sont répétées plusieurs fois par jour et diffusés par différents émetteurs pour brouiller les pistes.
La presse la repère très vite
Le poste clandestin démarre ses émissions le 16 décembre 1939. Dès janvier, des articles apparaissent dans la presse nationale (alors soumise à la censure) pour le dénoncer. « Un poste clandestin qui s’intitule « Radio-Humanité » et fonctionne en grandes ondes sur 1176 mètres et 250 kilocycles, fait actuellement une odieuse propagande antifrançaise, écrit Le Matin le 17 janvier. S’inspirant des doctrines de la troisième internationale sur des arguments où l’on sent percer aussi bien l’infecte glorification du régime nazi que celle du communisme, ce poste amorce une campagne antinationale qu’il serait bon de faire cesser aussitôt que possible.«
Si l’on croit encore qu’il émet comme il le dit quelque part en France, le mystère est vite dévoilé. « Grâce à la radiogoniométrie, on vient de le repérer, souligne l’Oeuvre le 2 février. Il se trouve à l’est de Mulhouse, de l’autre côté du Rhin. C’est-à-dire, selon toute vraisemblance, en Allemagne. Peut-être même à Stuttgart.«
Le même jour, le journal l’Humanité publié clandestinement sous la forme d’un tract recto-verso met en garde :
Le public s’inquiète
Radio-Humanité qui bénéficie d’une diffusion via les émetteurs allemands est très bien reçue ce qui inquiète des auditeurs. « On nous signale que les PTT reçoivent un très grand nombre de lettres par lesquelles le public se plaint de ce que les postes Voix de la Paix (sic) et Radio-Humanité n’aient pas encore été « dépistés » sur notre territoire et mis, par notre police des ondes, hors d’état de nuire, rapporte L’Oeuvre le 26 mars. Or, contrairement à ce que l’on croit généralement, ces postes ne sont pas clandestins… pour l’excellente raison qu’ils n’ont nul besoin de l’être. L’un, en effet, est situé près de Dantzig et l’autre aux alentours immédiats de Fribourg-en-Brisgau. au cœur de la Forêt Noire. Il n’est donc pas au pouvoir de l’administration française d’arrêter les émissions à leur source. Ce qu’elle peut faire — et elle s’y emploie de son mieux — c’est de tenter de les brouiller au même titre que tout autre émission allemande. »
Mais Radio-Humanité et la Voix de la Paix sont alors silencieuses. Probablement car l’attaque à l’ouest a été reportée. Elles reviennent sur les ondes quelques temps avant l’offensive.
C’est surtout au moment de la guerre éclair allemande en mai 1940 que Radio-Humanité tire ses heures de gloire. Elle appelle à fuir l’avance de la Wehrmacht. En diffusant de faux messages codés à des cellules imaginaires, elle accrédite le mythe de la cinquième colonne. La fausse radio communiste utilise les thèmes chers aux journaux communistes et socialistes comme les attaques contre les 200 familles. Elle ajoute des propos virulents contre les banquiers de Londres. Alors que l’armée française fait sauter les émetteurs au fur et à mesure de son recul, la radio noire met cela à son crédit. Elle affirme que ce sont des camarades qui ont saboté les émetteurs ! Des propos mettent cependant la puce à l’oreille. Ainsi, on peut entendre le 26 mai : « Il est intéressant de lire les journaux américains et anglais de ces derniers jours… » En pleine débâcle, imaginer un groupe d’ouvriers se déplaçant avec leur émetteur faire leur petite revue de presse internationale est un peu fort de café. Et puis, chassez le naturel, il revient au galop, les rédacteurs se lâchent quelquefois sur les Juifs. Avant de se taire, leur mission accomplie.
Radio-Humanité et sa voisine de bureau La Voix de la paix, cessent d’émettre le 25 juin. L’armistice vient d’entrer en vigueur.
PS. il faut également ajouter une fausse station clandestine nazie qui aurait émis quelques jours en juin alors que la Wehrmacht avait déjà envahi le nord de la France. Cette station avait pour nom Camarades du nord. Une variante de Radio-Humanité en provenance du même bureau.
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