A la recherche de 29.8, le « poste allemand de la liberté » qui faisait courir la Gestapo

Image du film Underground (1941)

Au début de l’année 1937, une nouvelle radio fait son apparition sur les ondes courtes. Cette station du Parti communiste d’Allemagne (le KPD) émet sur 29,8 mètres de longueur d’ondes, soit 10 067 kc, chaque soir à 22 heures durant une heure. Quelques mois plus tard, la radio clandestine devient le Poste allemand de la liberté (Deutscher Freiheitssender) comme le souligne le quotidien communiste l’Humanité le 18 avril 1937 qui couvre un congrès des communistes allemands à Paris. « L’assemblée acclama une communication faite au nom du Parti communiste allemand par le camarade Walter Ulbricht, selon laquelle le poste émetteur secret du P.C.A. sur onde 29,8 sera dorénavant mis à la disposition du Front populaire allemand en formation, sous la désignation de Poste allemand de la liberté. » Walter Ulbricht deviendra plus tard, dirigeant de la RDA, et Gerhart Eisler, qui dirige le poste, le responsable de la radio de l’Allemagne de l’Est.

Grâce à l’Imperial War Museum, on peut avoir une idée des émissions du Deutscher Freiheitssender.

Les Nazis réagissent

Le Poste allemand de la liberté est très bien reçu dans une bonne partie de l’Europe. Ce qui énerve Goebbels, le grand maître de la propagande nazie qui prend quatre décisions comme le souligne la revue communiste Regards : « 1° de faire fonctionner un poste perturbateur contre l’émetteur secret ; 2° de prendre toutes les mesures pour découvrir où se trouve le poste émetteur ; 3° de mobiliser les fonctionnaires des organisations fascistes contre l’émetteur et ses auditeurs 4° d’entreprendre des perquisitions policières inopinées dans les maisons suspectes et d’effaroucher tous les auditeurs du poste secret, condamnant de la façon la plus sévère ceux qui se seraient ainsi fait surprendre. »

Le journal explique qu’un brouilleur est mis en place à Koenigsberg (aujourd’hui Kaliningrad) en Prusse orientale quelques semaines plus tard vers la fin mai. Un reportage de Regards détaille cette bataille des ondes après s’être mis à l’écoute du poste clandestin.

La radio est brouillée

« A peine avait-il parlé que le tapage reprit de plus belle : Rrrr. tactactas, sss. !. L’émission était complètement incompréhensible. Alors ce fut le duel, la chasse, la poursuite dans l’éther ! Nous sommes restés fidèles à notre émetteur dans ses changements de longueur d’ondes. Nous tournions le bouton avec beaucoup de précaution et nous l’entendions de nouveau. Il émet maintenant sur l’onde 30,8. Nettes et claires nous parvenaient ses révélations sur l’envoi de troupes et d’armes en Espagne en vue de l’intervention hitlérienne. C’est le poste clandestin qui a dévoilé ces faits que la dictature à la croix gammée voulait à tout prix cacher au peuple !

Pendant ce temps, le poste perturbateur hurle sauvagement sur l’onde 29,8. Son propre tapage est si fort qu’il ne s’aperçoit pas de l’inutilité de ses efforts. Un poste d’observation le lui a sans doute signalé — le persécuteur approche de plus en plus, tout haletant, il essaie de nous attraper — nous distinguons nettement sa manœuvre; le speaker clandestin s’en aperçoit également, sa voix calme nous annonce : Attention ! nous nous échappons ! Et l’émission se poursuit, sans encombre, sur une onde plus grande. Lorsque, au bout d’un moment le suiveur approche de nouveau, le speaker annonce : « Nous retournons à notre ancienne onde ! »« .

Un sport pour l’auditeur

Et le journaliste (l’article n’est pas signé) de poursuivre son récit. « Mais ici le vacarme règne tout de suite. Car le poste perturbateur hitlérien travaille sur plusieurs ondes pour rendre inoffensif l’ennemi haï. La chasse prend alors un rythme fantastique et ne permet plus de reprendre haleine à l’auditeur qui veut suivre : tantôt sur 30,8, tantôt sur 30,5, de nouveau sur 30,6 puis descendant sur 30,1. Combat, combat, poursuites, dérobades, et c’est ainsi tous les soirs. La victoire reste au poste clandestin. Et s’il est quelques instants incompréhensible, l’auditeur entraîné le suit dans toutes ses manœuvres; il le fait même avec joie, avec le plaisir du sportif qui bat un record car chaque mot capté et compris est une petite victoire sur le fascisme.« 

Mais où se trouve 29,8 ?

Goebbels lance la Gestapo à la recherche de l’émetteur. Où se trouve 29.8 ? A l’antenne, les speakers s’ingénient à brouiller les pistes en faisant croire à un émetteur mobile qui est un jour à Hambourg, un autre jour à l’autre bout du Reich. Est-il à bord d’un camion, d’une péniche ? La presse communiste française s’en amuse.

« Trente experts furent chargés de rechercher le point d’émission du poste qui s’annonçait une fois de Berlin, une fois de Hambourg, une fois de Wuppertal, une autre fois de l’Allemagne du sud et, enfin, de Breslau, détaille l’Humanité. La presse hitlérienne ‘même offrait le spectacle d’une grande confusion. Une fois, elle assurait avoir repéré le poste clandestin dont elle ne pouvait déjà plus cacher l’existence en Union soviétique, près de la frontière ‘polonaise et, quelques jours plus’ tard, elle racontait qu’il était placé à Valence. Une semaine après, le Nationalzeitung de Essen, organe de Goering, prétendait que le poste avait été- découvert au Luxembourg. » Mais alors, où se trouvait donc le Poste allemand de la liberté ?

La réponse tient en une date : le 28 mars 1939. C’est le jour de la chute de Madrid. Les Franquistes s’emparent de la capitale espagnole. Depuis quelques jour, la station était silencieuse. Et pour cause, la radio communiste allemande était diffusée par les puissants émetteurs de la république espagnole.

De retour sur les ondes mais à Paris

Mais la station ne reste silencieuse que quelques mois. Les communistes allemands se réorganisent et début octobre 1939, la station est de retour sur les ondes, même nom, même fréquence. Mais cette fois-ci, elle est diffusée par la radiodiffusion française et son studio est à Paris. Pourtant, la presse communiste est interdite en France depuis fin août suite au pacte germano-soviétique. Mais la déclaration de guerre s’est produite et les autorités françaises voient dans cette radio un petit caillou dans la botte hitlérienne. Mais la station n’a plus le même succès.

Ironie de l’histoire, la France va connaître un effet boomerang. En décembre 1939, les Allemands mettent en place une fausse radio communiste, Radio Humanité, pour déstabiliser l’opinion française.

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