Une femme qui dirige une station de radio, voilà qui n’est pas commun dans les années trente. Mais c’est dans une ville où tout était possible, Shanghai. Ce port chinois comprenait alors deux secteurs administrés par des étrangers, la concession internationale (anglo-américaine) et la concession française. Cette dernière avait sa propre station de radio, Arts et culture, gérée par l’Alliance française sous l’indicatif FFZ. A la fin des années trente une quarantaine de radios diffusait sur la ville. Dans cette cacophonie des ondes, la station française a su trouver sa place grâce à Claude Rivière. Rien ne prédestinait cette agrégée de lettres à devenir animatrice à Shanghai.
Le goût de l’exotisme
Alice Beulin, son nom de naissance, a passé son enfance « dans une modeste maison à l’orée de l’adorable vallée de Chevreuse« , commente-t-elle dans une interview. Elle suit ses études à la la maison de la Légion d’honneur de Saint-Denis, un établissement d’enseignement réservé aux enfants des décorés. Son père, Paul Belin, était militaire et s’était distingué lors du siège de Tuyên Quang au Tonkin (Nord Vietnam) et fait chevalier de la Légion d’honneur. Sans doute lui a t-il donné le goût de l’exotisme. Quand son père, engagé dans la Légion étrangère, revenait d’une campagne, il lui racontait ses exploits. « L’Asie, ses mystères et ses prestiges entraient avec lui dans nos vies quotidiennes dont elles bousculaient la sagesse, la prose et la symétrie« , racontera-t-elle à l’occasion d’une conférence sur l’Indochine.
Sa fille devient agrégée de lettres puis professeur en lycée. Pendant la Grande Guerre, on commence à voir sa signature dans des revues ou des quotidiens comme l’Œuvre, sous le pseudonyme de Claude Rivière. A la fin de la guerre, elle part aux Etats-Unis, au sein d’une mission économique. Elle crée une revue, La France, à New-York. A ce titre, elle revient en France faire des reportages sur les zones dévastées par la guerre.
Direction l’océan Pacifique
De retour aux USA, elle enchaîne les conférences dans plusieurs états. Elle enseigne aussi un moment la littérature au Collège Bryn Mawr, une université réservée aux femmes. Claude Rivière revient à Paris où on la charge d’une mission économique de six mois à Tahiti. Après 75 ans de traversée sur le Ville de Tamatave, elle découvre la Polynésie. Six mois plus tard, elle décide d’y rester.
Elle y fait la connaissance du romancier Robert Keable puis du père Tessier, ami de Gauguin. Claude Rivière s’occupe du commerce du copra et visite les îles sur une goélette pendant trois ans. Elle se rend notamment dans l’île de Tahaa où elle rencontre le peintre Octave Morillot. Cette baroudeuse visite d’autres îles du Pacifique, les Tonga, les Samoa et commence à s’intéresser aux danses indigènes.
Elle part ensuite pour Hawaii, donne d’abord des cours de littérature à l’université d’Honolulu puis créé une troupe de danses polynésiennes. Dans ces Madame Riviere Hawaiian’s, on trouve huit personnes, notamment la famille du musicien Tau Moe, un pionnier de la guitare hawaïenne, En 1930, ils partent pour une tournée qui les mène trois ans aux Indes et à Shanghai puis Sumatra, Java, les Etats malais, les Philippines et Hong-Kong.
En avril 1935, les voici de nouveau à Shanghai. Claude Rivière prévoyait ensuite de rentrer à Honolulu. Mais elle reste alors que la troupe reprend le chemin d’Hawaii, probablement à cause de problèmes financiers. Fin mai, notre aventurière donne une conférence à l’Alliance française. Un premier contact avec cette organisation de promotion de la langue française.
En septembre, Claude Rivière propose une chronique chaque jour sauf le dimanche à 21h30 sur la station radiophonique de l’Alliance française – FFZ. Ces émissions font grande impression. En janvier 1936, à 52 ans, elle est nommée directrice de la station. Elle partage le micro avec deux autres animatrices, Mmes Cléry et Poulet. Parallèlement on commence à voir sa signature au bas d’articles culturels dans le Journal de Shanghai.
Une radio culturelle dans le « Paris de l’Est »
Photo : dans le studio de la radio avec de gauche à droite, M. Fong, Mme Cléry, Charles Grosbois responsable de l’Alliance française et Mme Poulet.
Outre ses plages musicales matin, midi et soir, la station radiophonique française, développe les programmes culturels. Claude Rivière propose des causeries le soir et peut compter sur les spécialistes de l’Université l’Aurore pour alimenter l’antenne en conférences. C’est « la seule station radiophonique de Chine donnant tons les jours des concerts de musique classique ainsi que des programmes variés en plusieurs langues, comprenant des causeries, des pièces de théâtre, des interviews, des émissions pour enfants, etc… Le plus grand choix de disques d’Extrême-Orient, alimenté régulièrement par des envois de Paris, de Londres et des Etats-Unis« , souligne une promo de la radio.
La concession, un îlot de sécurité pendant la guerre
Après la guerre sino-japonaise de 1937, en novembre, les Japonais occupent la ville, sauf ses concessions. Puis la guerre se déclenche en Europe. La concession est coupée de la métropole. L’approvisionnement en disques ou en livres pour alimenter les programmes se tarit. Les autorités françaises de la concession restent fidèles au gouvernement de Vichy. Mais la situation de cette enclave au sein de la zone d’occupation njaponaise s’empire encore plus après Pearl Harbor et l’entrée en guerre des Américains. « Les ressortissants des pays en guerre avec le Japon ont quitté la ville ou sont dans des camps. Quant aux Français, ils reçoivent depuis les accords négociés par le Japon avec l’Indochine un traitement de faveur« , résume Claude Rivière dans son livre En Chine avec Teilhard. Un statut neutre mais qui impose une censure. Les informations diffusées à l’antenne doivent passer par les ciseaux de l’Anastasie nipponne. Mais l’agrégée des lettres s’amuse à la contourner en utilisant des subtilités de la langue française que les censeurs japonais ne maîtrisent pas. La radio peut compter sur des musiciens de haut niveau parmi les juifs d’Allemagne et d’Europe centrale qui ont trouvé refuge en 1939 à Shanghai, un des rares ports où il est alors possible de débarquer sans un passeport.
Le 10 mars 1945, suite à leur coup de force la veille en Indochine, les Japonais prennent le contrôle de la concession française. « J’ai immédiatement radiodiffusé la protestation véhémente du consul général de France et une rectification des faits sans tenir compte de l’interdiction formelle des Japonais de donner des informations sans leur autorisation préalable« , indique Claude Rivière.
Après la capitulation japonaise, le gouvernement de la Chine nationaliste reprend possession de Shanghai. Apparemment, la Station radiophonique française est revenue sur les ondes quelques mois. Une dépêche d’United Press nous apprend en effet que le 31 décembre 1946, plusieurs radios de Shanghai ont dû fermer sur décision du gouvernement chinois, sont la soviétique et la française.
Il faudra attendre l’été 1947 pour que Claude Rivière soit rapatriée en France. En 1949, elle trouve un poste d’enseignante au Centre universitaire méditerranéen à Nice. Elle décède en 1972.
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