Il est 19h25 ce 21 octobre 1935 quand les auditeurs de Paris-PTT, relayée par tout le réseau des radios d’Etat, diffuse un reportage exceptionnel. Alex Virot, reporter de Paris-Soir, parle en direct d’Addis-Abéba, la capitale de l’Ethiopie, avec à ses côtés l’empereur Haïlé Sélassié Ier.
Une guerre coloniale
Depuis le 3 octobre, les Italiens attaquent ce pays de la corne de l’Afrique depuis leurs colonies d’Erythrée au nord et de Somalie au sud. L’Ethiopie, aussi appelée Abyssinie, son nom antique, n’a pas été colonisée car elle a repoussé une invasion italienne en 1886 avant d’être reconnue comme état indépendant par la communauté internationale. En 1935, le dictateur italien Mussolini lance à nouveau son pays dans une guerre coloniale.
Depuis plusieurs années, le Négus a cherché à moderniser son pays. En janvier 1931, il a investi dans une station radiotélégraphique sur un plateau à 7 km de sa capitale. Le pays peut ainsi recevoir et envoyer des messages depuis cette installation alors que son avenir est discuté par les membres de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU.
Cette organisation internationale ne parvient pas à protéger l’Ethiopie. Le 13 septembre 1935, Haïlé Sélassié Ier lance un message en faveur de la paix au monde entier en français, traduit ensuite en anglais, sur la longueur d’onde de 16,42 mètres. Il le répète quelques heures plus tard en amharique. En vain, puisque l’armée italienne passe à l’attaque quelques jours plus tard.
Première radiophonique
Alex Virot est dépêché sur place par un avion affrété par son journal, le grand quotidien Paris-Soir. A l’antenne de Paris-PTT, on peut l’entendre raconter son périple de six jours pour atteindre Addis-Abeba avant qu’il ne passe la parole au « roi des rois » qui s’exprime en français. « Qu’on pense ce que l’on voudra de cette proclamation : elle constitue un document sonore de premier ordre. Elle est non seulement une nouveauté dans l’histoire des ondes, même dans l’Histoire, s’enthousiasme Paris-Soir. C’est la première fois que le chef d’une nation en guerre s’adresse lui-même, oralement par un système de relais radiophoniques, aux auditeurs de TSF d’un grand pays comme la France, c’est-à-dire, en somme, à une très grande partie de l’opinion publique de ce pays.«
Le Négus parle aux Français
Alex Virot témoigne de ce moment dans les colonnes du journal. Après avoir expliqué que ses textes ont été soumis à la censure militaire éthiopienne, il détaille : « Afin de lui passer le micro aisément et d’éviter une interruption dans la diffusion, je dois m’asseoir tout à côté de lui. Le visage tourné vers moi, il m’observe obstinément et j’avoue que je suis terriblement intimidé d’avoir ainsi, à faire mon métier à la barbe, sauf son respect, d’un empereur.
Puis je passe le micro à Sa Majesté. Haïlé Sélassié s’exprime couramment en français, mais sa voix se plie mal à certaines consonnances de notre langue. Tandis qu’il parle, un de ses jeunes fils, le prince Makonnen paraît s’amuser considérablement du spectacle et dissimule son rire derrière ses deux mains. L’empereur ayant achevé sa déclaration, je reprends le micro pour la lecture du communiqué. Je pratique dans ce texte quelques coupures indispensables et je suis un peu gêné, craignant que la liberté que j’ai prise, ne crée un léger froid dans l’assistance. Cette crainte était probablement exagérée, car l’empereur ne laisse rien paraître que je puisse interpréter comme une réprobation.«
Le 26 octobre, alors qu’Alex Virot diffuse son dernier reportage en direct de Radio Addis-Abeba, l’empereur, dont le quartier général est situé à proximité de la station, vient une nouvelle fois au micro lancer un ultime appel aux Français.
Le 5 mai 1936, les troupes italiennes entrent dans Addis-Abeba mais les Ethiopiens ont saboté leur station de radio. Un an plus tard, les occupants inaugure une station de 1 kw, la radio de l’Afrique orientale italienne à Addis-Abeba. Elle sera ensuite portée à 7 kw. En 1941, les Britanniques, les forces françaises et belges libres et les résistants éthiopiens chassent les Italiens de la corne de l’Afrique. Le roi des rois retrouve son trône.
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