
Tanger, ce port marocain sur le détroit de Gibraltar, bénéficie jusqu’en 1956 d’un statut spécial. Il est géré par une assemblée composée majoritairement de représentants de puissances européennes. Cette zone internationale n’a pas prévu de législation sur les émissions radio.
Alors en 1936, Elias Bendrihem, un vendeur de postes récepteurs RCA, lance Radio-Tanger, une radio à faible puissance qui couvre la ville. Radio Tanger diffuse sur 206 m-1455 kc avec une puissance de 1 kw, deux fois par jour en français et en espagnol.
Il fait toutefois une demande auprès de l’administration internationale qui lui répond le 14 juillet 1936 : « Monsieur, En réponse à votre lettre en date du 6 juin dernier, par laquelle vous sollicitez l’autorisation d’installer un poste d’émission de TSF à ondes de 1.500 K. et de 250 W. en puissance nominale; J’ai l’honneur de vous faire savoir que votre demande sera soumise à l’Assemblée Législative Internationale lorsque celle-ci sera appelée à discuter les mesures législatives appropriées, actuellement à l’étude de la Direction des Services Judiciaires. Dans ces conditions, aucun poste de radiodiffusion ne peut être installé pour le moment dans notre zone. Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée. Signé : P. LE FUR.«
Le Maroc français s’inquiète
Détail surprenant, l’administration oublie de le notifier à l’intéressé qui profite donc d’un flou juridique. Cette notification arrive plus d’un an plus tard, le 28 septembre 1937. Elias Bendrihem répond : « Reçu notification de la décision de M. l’Administrateur. Je proteste contre l’interdiction qui m’est faite et que j’estime sans base légale« . Il va bientôt céder ce petit poste dont certains investisseurs avisés ont compris le potentiel.
En août 1938, la station basée au 5, rue de Tétouan à Tanger, appartient à Louis Dewolf, un homme d’affaire belge originaire d’Anvers, derrière lequel se cache à peine un certain Charles Michelson. Ce dernier s’empresse de réaliser des travaux en vue d’augmenter sa puissance. Une campagne de presse se déclenche dans le protectorat français du Maroc pour fustiger les projets d’étrangers, le belge Dewolf et le « roumain » Michelson (né en Roumanie mais de nationalité française).
L’affaire secoue les administrateurs de la zone internationale. Le 23 septembre, Radio-Tanger reçoit une interdiction d’émettre tant que l’assemblée législative ne s’est pas prononcée. La station poursuit cependant ses émissions.
Tanger publie une loi
Le 2 novembre 1938, l’assemblée législative de la zone vote une loi interdisant l’installation de stations de radiodiffusion, elle est promulguée le 14. Le 20 novembre 1938, la propriété de la station est transférée à une tout nouvelle société belge, la Société Pro-Radio qui poursuit les émissions.
Le 12 décembre, la note de service suivante est donnée aux employés : « Je soussigné Joseph Aerts, Administrateur-Délégué de la Société anonyme belge « Pro-Radio » donne ordre, sous ma responsabilité, au personnel de « Radio-Tanger » de continuer et maintenir les émissions sans interruption pour quelque raison que ce soit, pendant tout le mois de Décembre 1938.«
La police débarque
Le 15 décembre à 14h20, la police intervient pour faire taire la radio et poser des scellées sur les installations. Deux semaines plus tard, Joseph Aerts, administrateur de la société et Alberto Azerraf, directeur de la radio sont à la barre du tribunal pour avoir contrevenu à la loi du 14 novembre et risquent d’une peine d’amende (voir les détails de la loi ci-dessous). Ils sont en fait relaxés. Le procureur fait appel.
Et là surprise, les avocats de la radio parviennent à retourner la situation au terme de subtilités juridiques complexes après avoir fouillé dans les traités internationaux et les dahirs du sultan du Maroc, dont on vous fait grâce.
La loi de Tanger est déclarée anticonstitutionnelle
Le 10 mars 1939, le tribunal considère la loi du 14 novembre 1938 comme anticonstitutionnelle ! Désormais, il est possible d’émettre en toute liberté sur la zone. Le matériel saisi est rendu et l’administration doit s’acquitter de tous les frais. C’est un camouflet pour la France qui voulait imposer le monopole en vigueur dans son protectorat à la zone internationale.
Entretemps, le 20 novembre 1938, la propriété de la station est transférée à une tout nouvelle société belle, la Société Pro-Radio.
Une radio impériale en ondes courtes
Le projet de Charles Michelson est énorme. Il ambitionne de créer une radio impériale en ondes courtes pour les colonies françaises avec plusieurs émetteur.: « Ils seraient installés à Saigon. Hanoï. Tananarive,
Dakar. Brazzaville, Pondichéry, Nouméa. Cayenne. Guadeloupe, Saint-Pierre et Miquelon. Djibouti, peut-on lire dans un manifeste publié par quelques journaux. Ces postes auraient non seulement l’avantage de permettre aux colons et aux indigènes d’être tenus au courant à la fois de la vie métropolitaine et de la vie coloniale, mais rayonneraient largement sur les colonies voisines, où parfois on se fait une fausse idée de la France. »
Charles Michelson monte la Société tangeroise de radiodiffusion et finit par être complètement propriétaire de Radio Tanger après avoir racheté les parts des autres actionnaires.
Les travaux d’édification d’un centre émetteur pour Radio Tanger peuvent se poursuivre à Douar Mediouna près du Cap Sparfel. Un émetteur de 25 kw est prévu ce qui est équivalent à celui de Radio Maroc. Mais la déclaration de guerre change la donne. Le suite de l’histoire est un beau micmac administratif et financier. Pour faire simple, Charles Michelson fait don de sa société à la France le 11 novembre 1939 et en mars 1940 la Société tangéroise de radiodiffusion devient Radio Imperial. Une affaire qui rebondira après-guerre.
L’occupation espagnole
En juin 1940, après la défaite française, l’armée espagnole occupe la zone internationale. La première Radio Tanger cesse d’émettre. Depuis le 27 mars 1939, les Espagnols avaient mis en place une radio de la phalange (Falange espagnola tradicionalista), l’organisation franquiste sur ondes courtes pour atteindre l’Amérique. En mai 1944, les troupes espagnoles se retirent de la zone. D’autres aventures radiophoniques vont pouvoir démarrer.
Le paysage radiophonique marocain en 1939
Station | Fréquence | Puissance |
---|---|---|
Zone internationale | ||
Radio Tanger | 1455 kc | 1 kw |
Protectorat français | ||
Radio Maroc | 600 kc | 25 kw |
Protectorat espagnol | ||
Radio Tetouan EA9AH | 3992 kc et 6696 kc | 500 w |
Radio Falange del Exterior n°1 | 7090 kc | 85 w |
Radio Ceuta EAJ46B | 1492 kc | 200 w |
Radio Melilla EAJ21 | 1500 kc | 200 w |
La loi qui a été déclarée anticonstitutionnelle
Article premier. — Quiconque installera, utilisera ou exploitera dans la zone de Tanger des postes de radiodiffusion de toute nature sera puni d’une amende de mille à dix mille francs et d’un emprisonnement d’un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement. En cas de récidive dans le délai d’un an, l’amende sera de trois mille à dix mille francs et l’emprisonnement sera obligatoirement prononcé.
Le Tribunal ordonnera, dans tous les cas, la confiscation ou la destruction des appareils qui ont été utilisés pour commettre l’infraction. La saisie de ces appareils pourra toujours être effectuée par l’Administration.
Article 2. — Les personnes propriétaires, possesseurs ou usagers de postes de la nature de ceux définis à l’article ci-dessus sont tenues, dans le délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, de procéder à la suppression desdits postes et au démontage des appareils qui les constituent. Les intéressés ne pourront prétendre à aucune indemnité.
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